lundi 16 mai 2011

Un spectacle peu ragoûtant

éditorial de Lutte Ouvrière du lundi 16 mai 2011

Dominique Strauss-Kahn a-t-il eu le comportement d’un homme des cavernes doublé d’un crétin ? Est-il victime d’une machination ? Il a un pied dans la haute finance et l’autre dans l’élection présidentielle en France. Les deux milieux sont assez retors et les rivalités assez féroces pour que tout soit imaginable.
Les médias ne s’occupent en tout cas que de cela. Les milieux politiques aussi. Et, dans le concours des qualificatifs, cela va de la « surprise totale » au « séisme » en passant par le « coup de tonnerre sur la présidentielle ». Quelle que soit l’issue de l’affaire, chacun dans la course pour la présidentielle suppute les conséquences de tout cela sur ses propres chances, entre les deux camps de la gauche et de la droite, et plus encore peut-être à l’intérieur même du Parti socialiste.
Certains commentateurs expriment naïvement ou hypocritement leurs regrets que l’affaire Strauss-Kahn occulte les débats sur le programme, à commencer dans le PS lui-même, dans la préparation des primaires. Comme s’il y avait un débat sur le programme dans le PS ! Comme s’il y avait une différence entre les Hollande, Royal, Aubry et tous les autres !
Dans la réalité, il n’y a même pas de différence fondamentale entre la grande orientation de l’équipe Sarkozy et celle d’un éventuel futur élu socialiste. Tous ceux qui ont une chance d’être élus dans la course présidentielle sont des femmes et des hommes dévoués à la bourgeoisie, et surtout à la grande, tous au service du système économique où, malgré la crise, une minorité continue à accumuler des milliards en poussant les exploités vers le chômage et vers la misère.


Sarkozy et ses éventuels concurrents à droite assument ouvertement d’être des amis des riches et le proclament fièrement. Du côté du PS, qui cherche son électorat à gauche, on est plus discret ou plus prudent. C’est Strauss-Kahn, en tant que directeur général du FMI, avec ses amis roulant en Porsche et ses appartements luxueux sur trois continents, qui personnifie la proximité de son parti avec les puissances de l’argent. Mais ses compétiteurs au PS ne sont différents que dans les moyens, pas dans les options politiques. Ils ont gouverné ensemble dans le passé et tous envisageaient de s’effacer devant sa candidature.
Strauss-Kahn hors course, ils vont chercher à se différencier un peu les uns des autres pour arriver en tête des primaires socialistes puis pour être élus. Mais, une fois à la tête de l’État, ils feront, comme la droite, ce que la bourgeoisie exigera d’eux. Ils vont favoriser les banques et les entreprises, c’est-à-dire leurs patrons et leurs actionnaires. Et, pour avoir de quoi financer ces aides à la bourgeoisie, ils vont continuer à taper sur les salariés, sur les retraités, sur les plus pauvres. Ils vont invoquer le montant de la dette pour justifier des coupes claires dans les budgets sociaux, dans les services publics utiles à toute la population.
Les élections présidentielle comme législatives sont des spectacles organisés pour faire croire aux électeurs que ce sont eux qui décident. Mais on n’élit pas ceux qui ont le véritable pouvoir, ceux qui tirent les ficelles. On n’élit pas les possesseurs de grandes fortunes, les Pinault, Arnault, Dassault, Lagardère, Bolloré et autre Madame Bettencourt. Pas plus qu’on n’élit les hauts fonctionnaires qui sont chargés d’assurer la continuité dans l’exécution de la politique définie pendant que les élus s’agitent sur le devant de la scène.
Alors, Strauss-Kahn était un des acteurs du spectacle qu’on nous joue, une de ses vedettes même. Aux États-Unis, la politique-spectacle a été consacrée depuis plus longtemps qu’en France, marquée par l’élection à la présidence de Reagan, cet acteur de films de série B, ou par la transformation de « Terminator » Schwartzenegger en gouverneur de la Californie.
Au pays de Hollywood, la justice et la police elles-mêmes connaissent la mise en scène.
Strauss-Kahn, sortant hagard et menotté d’un commissariat de Harlem, est une image qui, diffusée devant des centaines de millions de téléspectateurs, marque sa chute plus que tous les discours.
Exit donc un des ténors, mais le spectacle continue. Et il continuera tant que les spectateurs n’interrompront pas cette triste comédie en réalisant que ce n’est que spectacle : l’exploitation, la pauvreté qui monte, les inégalités qui s’accroissent, la vie réelle, ne se décident pas sur cette scène, mais dans la coulisse.

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